Une réflexion longtemps mûrie nous a permis d'arriver à cette évidence : que la mission d'un État, selon l'un de ses objectifs prédéfinis, c'est de faire respecter sur toute l'étendue territoiriale -qu'il exerce son autorité- l'application de ses décisions. La loi arme l'état néanmoins du bras répressif nécessaire pour les faire appliquer. Un état qui n'arrive pas à assumer cette tâche, -son autorité- est alors catalogué par des euphémismes élaborés dans les grandes officines internationales tels:" état faible ", "entité chaotique ingouvernable", état failli", " arrière-cour" et " république bananière".
L'état, dans sa mission régalienne, en effet, a pour objectif de garantir la sécurité, la permanence de son autorité, le respect des lois, son "monopole de la violence légitime", en autres, dans le sens weberien du terme. Ainsi un état qui n'arrive pas assurer cette permanence est considéré comme vulnérable et demeure sous surveillance internationale. Celui-ci peut-être mis sous tutelle étrangère à la moindre occasion si la structure étatique en question représente un danger pour sa région. Le pays le plus proche peut user, dans ce cas, de ce droit d'ingérence ou ce sera l'ancienne métropole qui s'en occupera (Le cas d'Haiti en 2004 et 2010). Puis la tutelle sera entérinée dans un cadre formel (mandat de l'ONU, UA, OTAN).
La déficience de ses valeurs fondamentales à l'existence de l'État fragilise le fondement de l'institution. Alors comment interpréter la nature de la structure étatique nationale à la lumière des impératifs intresèques à l'État? Questionner l'existence de l'État pose la problématique de l'État versus un projet de société. Fonder l'État haïtien a-t-il le projet politique de nos dirigeants ? L'état comme un ensemble d'institutions n'a-t-il pas toujours dans un conflit ouvert opposé à la société civile et politique? L'état en Haïti n'a-t-il pas ici toujours vécu comme une entité répressive et non de service?
L'idée dont la population fait de l'état renseigne sur l'attitude de celle-ci à son propos. L'état, loin d'être vu dans sa vocation sociologique d'organisation de la société, est apprécié à l'aune du dirigeant politique comme la source fondamentale de l'existence de l'État. L'État haïtien est ainsi institué autour de l'homme politique. L'état existe dans la personne du chef, non en vertu de la permanence institutionnelle. C'est l'homme politique qui rend l'État fort dans le sens haïtien (une mentalité émanant du rachitisme du projet démocratique haïtien et du sous-développement dont l'état local n'en a point émergé). Alors que ce sont les institutions qui doivent renforcer au mieux l'état.
L'état ici reste lié intimement à la personne du chef. Cette opinion demeure la réalité du pays. L'état est cristallisé dans la personne du président ou des hauts fonctionnaires publics. Madame Sofia Martelly (première dame du pays) confia à un quotidien local non sans une pointe de fierté qu'elle a été reçu à travers le pays comme "Madan Leta ". En raison du statut politique de son mari, chef de l'exécutif haïtien qui, dans la mentalité du peuple est alors considéré comme "Mouche Leta".
Cela permet de comprendre le problème de l'existence de l'état comme un réseau institutionnel. La force quelconque d'un état ne réside pas dans le pouvoir des hommes mais dans le renforcement des institutions. La mise en application des décisions publiques peut aider à cerner le degré de légitimité dont jouit l'État. Dans notre cas, illustre la thèse que nous vivons dans un état faible, où la faillite institutionnelle couplée à celle des dirigeants réduit les marges de manoeuvres publiques à une peau de chagrin. En effet, rien ne garantit le respect d'une décision publique prise dans l'immédiat à Port-au-Prince, son application à Mombin-Crochu ou dans quelques coins de la république.
La baisse des prix des produits pétroliers sur le marché national illustre notre questionnement autour de la faillite de l'état. Une tournée dans quelques stations d'essence du pays a mis à rude épreuve notre constat. En effet, les nouveaux prix qui devraient être généralement affichés aux compteurs ne sont pas respectés. Certains pompistes ont même affirmé que les nouveaux prix seront appliqués dans la soirée du lundi (2 février 2015).
Une parfait exemple d'une décision ayant une incidence nationale dont le citoyen juge au gré de son humeur ou pas l'application. Il agit ainsi parce qu'il croit que l'état ne fera rien. Il a pris le poids de l'état. Nous sommes tombés des nues! En effet, l'état devait s'octoyer les moyens d'appliquer ses décisions sur le territoire où il exerce son autorité au meilleur des cas. N'en parlons pas d'un État où ce ne sont plus la force des institutions qui en garantit la permanence mais la caprice de ses hommes.
La fragilité de l'état en Haïti n'est un secret pour personne. Le citoyen bien imbu du fait ainsi nargue, provoque et mène l'état par la bride. Qu'espérer d'une république qui ne se tient plus par l'application de ses lois. L'illustration du prix du carburant est l'un des éléments qui permet de voir la tête de l'iceberg dans l'océan où nage la barque fragilisé de l'état. L'image n'est pas trop forte.
Refonder l'état haïtien n'est point un vain mot. Mais demandons-nous si le prétexte de refondation demeure encore devant la faillite générale de l'État? Intégrer la liste des états faillis du monde n'implique pas toujours la facilité d'en sortir. L'Afganistan, la Somalie, maintenant le Mali, la République Centre Afrique, le Sud-Soudan ne prouvent pas le contraire, au mieux renforcent cette conception!
James Stanley Jean Simon Écrivain, poète, professeur de littérature, directeur de la Radio Union Fm 88.9
|